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 La blancheur du refuge sur les taches de l’étendoir

 

 La blancheur du refuge sur les taches de l’étendoir
2019

Conception et performance : Brigitte Roffidal

Prise de vue : Céline Roffidal

Vidéo  tournée en plan séquence (de 36,46 min)

Dans la salle de traite désaffectée de la ferme, où les moisissures habillent le mur à l’arrière-plan et dans laquelle un puits de lumière, au centre, éclaire la pièce, le personnage essore des draps blancs, qu’il sort d’une bassine en zinc, les étend un par un sur les barres métalliques ; il se met ensuite à battre le linge d’une manière frénétique et totalement irrationnelle, jusqu’à ce que les morceaux de tissu lui reviennent parfois dans la figure. Il semble habité par cette tâche, frappe les draps comme s’il s’agissait d’une sorte de défouloir.

Il fabrique petit à petit et non sans peine son enveloppe ou sa toile, qui peut évoquer aussi un berceau ou faire penser à une sorte de refuge dans les dernières images, dans lequel il va se recueillir. Des cloisons se forment par moment ; la blancheur, la transparence et la propreté des draps contrastent avec les moisissures et la noirceur du sol – les matières et les textures, très présentes, peuvent rappeler les différents blancs de Vermeer.

 

Cette répétition du geste et ces tâches traditionnellement associées à celles des femmes (essorer du linge, le battre, l’étendre), font écho à  l’enfermement possible lié à ce travail quotidien, au labeur de celles qui restent au foyer – leurs enfants ne rêvent souvent que d’une chose : voir leur mère sortir.

Sur ces draps suspendus, comme dans une sorte de tente, métaphore du foyer, le personnage essaie de se battre mais il s’emprisonne aussi dans sa toile, malgré sa volonté. La seule paix qu’il semble trouver s’apparente à cette transformation du lieu en repère mystique.

 

 

La femme qui pioche

 

 

 

 
La femme qui pioche
2017
Vidéo  tournée en plan séquence (de 43,07 min)
Conception et performance : Brigitte Roffidal
Prise de vue : Céline Roffidal
Création musicale : Michel Berthelot

 

Le titre de cette vidéo-performance est un clin d’œil au court-métrage de Christian Boltanski réalisé en 1969, intitulé L’homme qui tousse.

Tournée en une seule prise, pendant 43 minutes (c’est la durée de la composition musicale créée par Michel Berthelot que l’on entend pendant la prise de vue), cette vidéo montre le personnage en train de piocher de différentes manières dans un champ ; il répète son geste, inlassablement, réalisant un travail (ou un non-travail ?) qui peut sembler absurde, sans but défini, que l’on peut voir aussi comme un clin d’œil à la répétition des tâches dans le milieu agricole (et au fait de creuser sa propre tombe…). 

Métaphore également du combat contre soi-même (et référence au mythe de Sisyphe, avec cet éternel recommencement), cette action montre des moments de découragements, de doutes, de fatigue, puis de reprise et d’entrain face au travail.

On voit le personnage perdre souvent l’équilibre et les mouvements effectués peuvent parfois faire penser à une sorte de transe.

 

Des âmes dans le mouvement de ceux qui roulent

 

 

Des âmes dans le mouvement de ceux qui roulent

2019

Vidéo  tournée en plan séquence (de 59,19 min)

Conception et performance : Brigitte Roffidal

 Prise de vue : Céline Roffidal

 

Le son d’un abreuvoir qui roule se fait entendre au loin, dans ce corps de ferme vide, la lumière venant du sud, très marquée, accentue les contrastes ; on découvre petit à petit le personnage qui avance vers nous, tout en déplaçant un par un ces objets volumineux, déformés par le temps et bruyants. 

La matérialité et la richesse esthétique de ces fonds d’abreuvoirs (certains sont rongés par la rouille, d’autres sont restés gris et peuvent faire penser à des astres) m’ont inspirée pour réaliser cette vidéo-performance, dans laquelle le personnage tente d’établir une relation entre son corps et leurs formes : il se met à l’intérieur, essaie de monter dessus ou de bouger pour produire différents sons…

Les ayant placés les uns à côté des autres, il se met ensuite à lancer différentes matières à l’intérieur de chacun d’eux, puis inscrit avec une craie différentes dates et initiales, qui se terminent toutes par la lettre R, associées à des dessins schématiques de signes astrologiques.

On finit par comprendre que ces abreuvoirs qu’il déplace évoquent pour lui des personnes absentes, qu’il a perdues.

Les matières que le personnage jette subitement à l’intérieur de ces objets renvoient à différentes manières de perdre la vie : les médicaments en surdose, le sucre qui fait penser à de la poudre ou évoque l’obésité, le vin qui forme une sorte de tache sanglante, l’eau et l’utilisation du brumisateur suggèrent la noyade et le gazage.

On découvre à la fin, par sa position dans le dernier abreuvoir, que le personnage lui-même tente de se positionner en lien avec les autres objets, ou d’instaurer un  dialogue avec eux.

 

 

Sur un pied, avec le chant des oiseaux

Sur un pied, avec le chant des oiseaux

2018

Conception et performance : Brigitte Roffidal

Prise de vue : Céline Roffidal

Vidéo tournée en plan séquence (de 42,08 min)

 

Un jour de nouveaux acquéreurs se sont installés dans la maison attenante au corps de ferme, suite au décès de ma grand-mère. Presque du jour au lendemain, ils ont bouché toutes les ouvertures avec un crépi blanc, transformant un espace ouvert sur l’atelier, les greniers et la maison en un mur totalement obstrué.

La violence provoquée par la vue de cette nouvelle façade est exprimée par le personnage, qui incarne mon père – sa mère a vécu toute sa vie de l’autre côté de ce mur ; il est en train de jouer à la marelle, comme un enfant, tout en accrochant des lettres au mur une par une, pour exprimer ce qu’il ressent ; on peut lire petit à petit différentes phrases qui apparaissent : « J’AVAIS/J’AIME MA MÈRE, J’AI MAL, VIENS, REVIENS, MERDE », mais aussi des mots comme « AVE , RÊVE, AMEN », jusqu’à ce que ces lettres soient déplacées, qu’on se rende compte qu’il s’agissait de l’anagramme d’une phrase que l’on découvre à la fin : « J’EMMERDE L’AVENIR » (juste avant on peut lire aussi  « J’EMMERDE LA VIE, L’AVANT »).

Le personnage dans la vidéo trébuche souvent, est obligé de recommencer fréquemment sa tâche : le vent décroche certaines parties, le scotch tient mal – il lutte particulièrement avec la lettre E, qui tombe à plusieurs reprises, comme une correspondance, étrange, avec ce thème de la disparition (et le livre de Georges Perec).

Durant tout ce combat, les oiseaux ne cessent de chanter, la lumière, très présente, forme différentes ombres (qui ressemblent étonnamment à des profils de visages d’hommes), et le vieux chat blanc de la ferme s’invite plusieurs fois dans le cadre.

Cette phrase : « J’emmerde l’avenir », est notamment une réflexion sur la pression que l’on met aux enfants en leur demandant souvent : « Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ?», comme si les adultes évoquaient leur difficulté à vivre eux-mêmes pleinement dans le présent. Face à cela le personnage écrit en lettres capitales ces mots, que l’on peut également entendre comme « Je n’ai pas peur de l’avenir », ou comme un cri de rage face à l’échec de cet appel pour que sa mère revienne.

 

Des œufs qui coulent pour une source d’espoir

 

 

Des œufs qui coulent pour une source d’espoir

2020

Vidéo  tournée en plan séquence (de 42,10 min)

Conception et performance : Brigitte Roffidal

Prise de vue : Céline Roffidal

Dans Des œufs qui coulent pour une source d’espoir, on voit le personnage nourrir ses poules, il semble vivre seul et sans aucun confort. Il va chercher des œufs à l’intérieur du bâtiment, revient avec deux corbeilles pleines à ras bord ; il s’arrête, s’assoit sur sa chaise, puis d’un seul coup en jette une trentaine sur le mur, qui devient marqué par ces taches. On le voit ensuite faire un feu et préparer longuement une omelette avec la trentaine d’œufs qu’il lui reste encore. Il va chercher un plat, puis d’autres chaises, finit par fabriquer une pancarte avec du carton, sur laquelle il inscrit le mot « WELCOME » en lettres capitales.

Cette vidéo évoque les personnes qui ont choisi de s’isoler à la campagne, souvent des femmes, qui vivent dans des maisons à plusieurs dizaines de kilomètres parfois des villes, finissent par s’enfermer, volontairement ou sans s’en rendre compte, se coupant de tout lien social, progressivement.

Le jour où le personnage dans cette vidéo veut reprendre le contact avec les autres, s’ouvrir, en cuisinant sa grande omelette et en fabriquant sa pancarte avec son «WELCOME», on peut se demander s’il n’est pas déjà trop tard, si sa complicité avec les poules, le lieu qu’il a si bien adopté mais qu’il a aussi laissé en friche, qui peut sembler à l’abandon parce que sans visite il ne s’est pas rendu compte de son état de délabrement progressif (ou bien il n’a pas eu l’énergie pour le nettoyer), n’a pas entravé sa possible ouverture aux autres. Sa maison, son espace vert et ses animaux forment peut-être sa prison et lorsqu’on le voit jeter ses œufs contre le mur c’est comme s’il se réveillait, comme s’il se disait qu’il n’avait personne avec qui partager tout cela, cette nourriture, son trésor, sa vie.

Ces taches jaunes au mur qui coulent ressemblent à son état d’âme, sa souffrance, comme un clin d’œil aux Tournesols de Van Gogh, qui peuvent symboliser une sorte de tissu social, l’importance du lien avec les autres, comme les œufs dans la vidéo, écrasés, suggèrent une communauté, dont le personnage s’est exclu.

 

 

Souffle sur ses cendres pour qu’elles résonnent, encore

 

Souffle sur ses cendres pour qu’elles résonnent, encore

 2019

Vidéo  tournée en plan séquence (de 33,53min)

Conception et performance : Brigitte Roffidal

Prise de vue : Céline Roffidal

Le lieu que l’on découvre dans cette vidéo est un hangar moderne très haut, qui servait à stocker du fourrage en grande quantité ; il est aujourd’hui vide et fait résonner le moindre son.
Le personnage, venu en tracteur, y apporte une caisse en bois, puis il déplace différents éléments qui se trouvent sur place (des poteaux métalliques qu’il roule, une sorte de socle en bois…), pour venir déposer au centre de sa construction une tunique blanche qu’il a transportée (il la déplie d’abord et la met contre son corps).
Faisant ensuite un clin d’œil aux gestes des pleureuses, il réalise différentes actions autour de cette tunique, qui produisent différents sons : il lance des graviers sur les tôles du hangar, frappe des gerbes de blé au sol, fait résonner un anneau de barrique sur les poteaux métalliques, puis il fait des mouvements avec une chaîne qui frappe le sol.
Tournant sur lui-même, le personnage semble parfois effectuer une sorte de danse, jusqu’à se laisser emporter par l’objet qu’il tient.
Après avoir remis la tunique dans la caisse, il repart en tracteur, comme si cette cérémonie était une parenthèse avant la reprise d’une tâche plus prosaïque, un rêve peut-être, ou une manière de transformer un lieu pour lui donner une dimension plus mystique et faire revivre l’âme de cet objet.

 

 

 


 

  • Du 18 janvier au 14 février 2019 : Exposition personnelle “Des mots face à la joie du chant des oiseaux” à la Galerie IGDA 2.0 à Caen

 

Les 28 et 29 septembre 2019 : Installation dans l’atelier de l’artiste Pénélope à Manvieux, à l’occasion des JPO (Les Journées Portes Ouvertes des Artistes du Calvados).

 

Installation lors de l’exposition  “Art à la maison” chez l’écrivain Arnaud Roquier à Colombelles, les 22 et 23 juin 2019.

 

 

 

Ces vidéos-performances sont souvent présentées ensemble (avec différentes configurations possibles), elles sont installées en boucle, sont toutes tournées en plan-séquence (le matériau « brut », est conservé, sans montage) et durent entre 33 et 59 minutes.

C’est Céline, la sœur de l’artiste, qui filme à chaque fois et utilise le zoom durant toute la durée de la vidéo, en faisant des rapprochements à certains moments, ce qui amène une certaine proximité avec le corps, un cadrage qui change au fil du film, parfois indépendamment de l’action.

Sous l’apparence d’un personnage toujours habillé en noir, avec une jupe, des bottes en caoutchouc et un collant noir sur le visage, l’artiste réalise différentes actions, en lien avec l’endroit de la ferme choisi, sur un temps long : les imperfections, le hasard qui intervient et la recherche au cours de la vidéo font partie du processus.

Le masquage du visage est un moyen de rentrer dans une certaine concentration du geste en se coupant en partie de la vue du monde extérieur, tout en étant plus attentif au ressenti de l’environnement et plus proche des sensations. Cela peut  amener des scènes où le personnage se retrouve en perte d’équilibre ou avec un pas incertain, cherchant ses repères, il  peut aussi rentrer dans une sorte de transe, à force de répéter inlassablement un geste et d’être ainsi coupé de la vue.

La chevelure en revanche est très présente et marque une partie de son identité, elle est aussi un signe de sa féminité, de sa force, elle accompagne son regain d’énergie parfois, sa rage.

Une lutte acharnée est exprimée dans chacune des vidéos : piocher sans s’arrêter, battre du linge avec une énergie démesurée, accrocher des lettres qui ne cessent de tomber, rouler des abreuvoirs volumineux et déformés, faire une omelette avec trente œufs qui ne prend pas… Cela peut être perçu comme un combat contre une certaine fatalité, c’est aussi une manière de montrer cette répétition inhérente au travail à la ferme.

Les actions réalisées peuvent sembler absurdes, mais elles sont menées jusqu’au bout, malgré les obstacles qui freinent l’avancée prévue ; elles semblent requérir une grande importance, pour le personnage.

Cette série de vidéos est toujours tournée sur un lieu particulier, une ferme familiale désaffectée, vaste et riche dans sa matérialité et ce qu’elle offre comme possibilités visuelles, un lieu qui est sensé être mort de partout, avec l’absence des animaux, du mouvement, du bruit des moteurs, cette absence qui rôde désormais partout.

Cet acte artistique est une manière de faire ré-exister cet endroit, avec ce corps en déséquilibre qui agit sans cesse, qui est dans la quête, dans la lutte, à la recherche d’un geste plus sûr, plus intériorisé, qui rencontre de multiples obstacles qui n’étaient pas prévus, qui cherche des solutions, constamment.

On y trouve également une certaine mystique liée à ce lieu : les moisissures qui sont apparues, la rouille, l’état de désordre, l’herbe qui reprend ses droits, les outils laissés à l’abandon, le mélange de matériaux bruts : les pierres de taille, la terre, le bois….

C’est aussi la matérialité de chaque endroit de la ferme qui inspire chaque scénario  : le lieu clos, les barres métalliques et le puits de lumière pour la vidéo dans la salle de traite, les fonds d’abreuvoir tous différents, rouillés pour certains et qui peuvent évoquer des astres pour Des âmes dans le mouvement de ceux qui roulent, les ouvertures brutalement bouchées dans la cour de la ferme suite au rachat d’une partie des bâtiments pour la vidéo Sur un pied, avec le chant des oiseaux, le grand hangar vide qui résonne pour Souffle sur ses cendres pour qu’elles résonnent, encore, le paysage avec les champs et l’horizon marqué pour La femme qui pioche, le poulailler qui ressemble à une maison délabrée pour Des œufs qui coulent pour une source d’espoir.

Lorsque toutes les vidéos tournent ensemble, les sons se mélangent, on entend les coups de pioche, le battement du linge, les abreuvoirs qui roulent, le chant du coq, la chaîne qui tourne sur le sol bétonné, les coups sur le mur pour accrocher les lettres, le chant des oiseaux, un avion qui passe, des poteaux qui résonnent comme un son de cloche, les fers à béton au sol qui font du bruit, le vent qui souffle, le crépitement du feu, la musique de Michel Berthelot pendant la vidéo de La femme qui pioche.

Cette bande-son créée par l’association de toutes ces vidéos, ainsi que la combinaison des images, est à chaque fois différente, les films n’ayant pas tous la même durée.

Ainsi il existe une multitude de présentations possibles et de dialogues entre les images, en fonction du moment où l’on regarde l’installation.