« J’ai écrit une série de lettres, notamment à des personnalités, des personnalités que j’ai croisées, à qui j’avais des choses à dire ou bien des réflexions poétiques à soumettre… J’ai coulé ces textes dans de la résine époxy, l’écriture étant en partie plongée dans cette matière transparente ».
Ces lettres sont comme des parenthèses poétiques, des tentatives de communication pour faire un pas vers l’autre, des sortes de messages d’amour aussi.
Lettre à Marcel Duchamp
2017 (série Des missives, à sens unique ?)
Papier, scotch, fil rouge en coton, résine époxy, résine acrylique
24,5 (largeur) x 28,5 (hauteur) x 0,8 cm
Lettre à Bertrand Cantat
2014 (série Des missives, à sens unique ?)
Papier, scotch, fil rouge en coton, résine époxy
24,5 (largeur) x 28,5 (hauteur) x 0,8 cm
Lettre à Michel Onfray
2014 (série Des missives, à sens unique ?)
Papier, scotch, fil rouge en coton, résine époxy
24,5 (largeur) x 28,5 (hauteur) x 0,8 cm
Lettre à Bertrand Cantat
2014 (série Des missives, à sens unique ?)
Papier, scotch, fil rouge en coton, résine époxy
24,5 (largeur) x 28,5 (hauteur) x 0,8 cm
Lettre à Yann Moix
2017 (série Des missives, à sens unique ?)
Papier, scotch, fil rouge en coton, résine époxy, résine acrylique
24,5 (largeur) x 28,5 (hauteur) x 0,8 cm
Lettre à Benjamin Biolay
2017 (série Des missives, à sens unique ?)
Papier, scotch, fil rouge en coton, résine époxy, résine acrylique
24,5 (largeur) x 28,5 (hauteur) x 0,8 cm
Vue de l’installation pour l’exposition «Cocottes et gratin » à la PPGM de Roubaix – La plus petite galerie du monde (ou presque) de Luc Hossepied du 7 au 15 septembre 2014
Installation lors de l’exposition “Art à la maison” chez Bruno et Marité à Périers-sur-le-Dan du 10 au 12 mai 2019
Lettre à Marcel Duchamp
À Vide Bouteilles, le 2 février 2015
Monsieur Marcel Duchamp,
La lenteur n’est plus de mise, à ceux qui ne rentabilisent pas suffisamment leur temps d’une manière immédiate, la société envoie des coups de pied culpabilisateurs, chacun commence à accepter froidement la dépense d’énergie dans les commerces le jour le plus endimanché…
Vous avez réussi à imposer votre urinoir, ou l’image de votre fontaine, ou l’idée du ready-made, dans la réflexion ambiante, vous avez réussi à ouvrir nos œillères, nos questionnements sur ce que l’on appelle une œuvre.
Mais parallèlement nous avons désappris à vivre, et vous qui êtes considéré comme un demi-dieu dans le domaine artistique, et même bien au-delà, vous auriez dû proclamer plus fort votre éloge de la lenteur, nous crier que vous étiez un « ingénieur du temps perdu », pour que les uns vous suivent, les autres montrent l’exemple et retournent l’accusation contre les héros de la vitesse des temps modernes.
Vous incarnez l’anti-Picasso dans le débit de vos productions, l’anti-Beuys dans le flux de vos paroles, mais peut-être êtes-vous un Vinci du XXème siècle, actif dans la réflexion, les concepts et les projets, avec des œuvres que l’on peut compter et des lignes de pensées sans fin.
Vous avez travaillé avec le temps d’être, vous avez assumé le temps long de l’inutilité créatrice, mais ceux qui produisent beaucoup avec une haute valeur commerciale sont en passe de gagner le bras de fer… Vous avez compris bien avant l’heure ce que d’autres refusent encore aujourd’hui d’assumer, que votre lenteur, votre précision, votre réflexion, vos préoccupations, vous pousseraient à faire des choix, ne vous permettraient pas d’avoir une vie de famille traditionnelle…
Alors les autres s’occupent, gazouillent, font des emplettes, de la broderie, des maquettes ou des mots croisés, ils ont besoin de temps plein, ignorent la plénitude…
Où sont les bricoleurs d’objets bancals ?
Où sont ceux qui ont l’ambition d’en faire un acte de résonnance, pour le Salut du monde ?
Les ombres sont peut-être plus parfaites, matérialisent l’objet autrement et nous amènent dans une autre dimension… Êtes-vous plus léger, plus reposé, moins joueur, dans ce monde parallèle, trouvez-vous nos contraintes matérielles encore plus dérisoires, les contraintes de la vie d’ici-bas encore plus insignifiantes, dans votre quatrième dimension ?
Ne sommes-nous pas des sortes d’esquisses, des êtres présents pour tenter des expériences, comme des souris de laboratoire qui auraient le choix entre plusieurs parcours, qui en essaieraient certains, se prendraient des murs parfois, ne cesseraient de trébucher, pour guider leur géni de Savant sur la direction à prendre, ou qui lui montreraient les résultats de ces pistes tortueuses pour qu’il apprenne lui-même, affine son diagnostique et sa méthode, petit à petit ?
Et si Dieu était un chercheur ? Si nous étions ses compagnons d’une autre dimension, en liberté non maîtrisée ?
Peut-être que quand je me cogne j’apprends quelque chose au Créateur ? Alors tout n’est-il pas possible, puisque Dieu lui-même attend que l’on expérimente pour prendre des décisions ? N’est-il pas ravi quand on se plante, ne nous observe t-il pas avec son air malicieux lorsque l’on prend un chemin de traverse, car alors on lui montre ce qu’il ne soupçonnait pas, grâce à la possibilité de l’accident ?
N’est-ce pas cela qu’il faut aimer : l’attrait du trait qui fourche ?
Et s’il se nourrit de nos erreurs, alors il doit souffler en voyant tous ces couples avec deux enfants en rang, s’occuper de leur cocon en vase-clos, sous un toit en V inversé rose.
La force qui nous emmène nous réclame de la nouveauté, du changement, de l’acte créateur. Elle a l’esprit empirique et joueur ; tout n’est pas écrit, malgré nos destinées, tout est en train de se faire…
Et vous, Monsieur Duchamp, vous avez compris que c’était votre vie elle-même qui était essentielle, votre respiration ; vous avez perçu que l’air de votre corps était certainement en connexion avec une autre dimension, parallèle, mais tout aussi essentielle.
Pourquoi pense-t-on que l’ombre est moins présente que l’objet, ou moins importante, sous prétexte qu’elle est reliée à lui ? Pourquoi le reflet ne serait pas cet objet palpable, en trois dimensions ?
C’est la réflexion que vous avez émise, mais qui l’a mise à nu ?
Et si dans notre pensée, nous renversions les rôles, pour prendre la vie à bras-le-corps, autrement ?
Avec ses actes créateurs, ses arrêts, ses valises, ses reprises, cet emploi si particulier du temps, votre vie nous interroge… Nous percevons presque un siècle plus tard tout ce que vous avez mis dans vos œuvres sur la recherche, la complexité et le renversement des genres, le dépassement des frontières, le questionnement sur l’identité. Peut-être que là-dessus vous avez été un expérimentateur, un chercheur en puissance, ou une souris maligne, à travers ces œuvres en quête d’identité, réversibles jusqu’à l’érotisme ?
De là-haut avez-vous vu que l’on commence à insuffler ces questions dans les programmes pour ouvrir des pistes à nos enfants, et ne nous dites pas que nous avons du retard, un genre de retard…
Près de Grand Verre reconstitué, lundi dernier, deux femmes d’un certain âge, avec des tailleurs cintrés et des chignons hauts en couleurs, s’interrogeaient sur la signification du « vite » dans votre titre Le roi et la reine entourés de nus, vite. J’ai eu envie de leur donner des pistes, je les ai laissées s’interroger, je me suis dit : « Ce « vite » fonctionne, elles sont perdues ! », puis « « Duchamp rirait bien s’il était à côté de nous, mais, est-il en train de rire ? ».
Étiez-vous en train de rire ?
Et ne trouvez-vous pas que cette photographie derrière votre Grand Verre, dans cette salle, à Beaubourg, était une erreur (en verre ?), malgré vos suggestions ? Ne trouvez-vous pas qu’il est mille fois plus intéressant quand il est brisé, qu’il perd à ne pas l’être ?
Je n’ai pas hâte de connaître vos réponses, cependant je vous prie de croire en mes sincères salutations. Nous nous croiserons peut-être dans l’air de l’autre dimension… n’est-ce pas ?
À moins qu’elles ne communiquent déjà entre elles…
Brigitte Roffidal
Lettre à Yann Moix
À Montargis, le 27 mars 2016
Monsieur Yann Moix,
Le shampoing avait l’air de vous émouvoir, presque, vos doigts se sont croisés dans les miens, et vous avez choisi de rester, sous le ciel de ce rêve, dans le transport d’une remorque, sur des chemins cratérisés, en route vers la traversée du marais en barque.
Je me suis demandée si c’était le visionnage le vieille de l’émission à laquelle vous participiez, ou bien ma rencontre furtive avec vous dans les rues d’Orléans, un samedi matin, alors que l’esprit de Péguy enveloppait encore l’air de la rue Rabier, qui avait provoqué ces images si fortes, indélébiles.
Alors j’ai couru pour rendre le blanc de mes yeux en amande plus bleu, pour faire réapparaître le bleu du blanc des yeux de ceux qui ont la santé d’une espèce férale, cette lueur d’avant l’âge du freinage des reins.
J’ai couru pour être à la hauteur de la beauté de vos yeux, à la hauteur de la construction de votre être en tour phallique caméléonesque, de l’intelligence de celui qui se masque, qui sait que la barre est trop haute, mais qui passe son temps à la caresser pour garder les yeux qui brillent , tout le temps, et oublier la manque de souplesse du sol.
Certains pensent que c’est en changeant de costume que l’on se faufile ; vous avez compris qu’il s’agissait d’une véritable mutation intérieure, qui rend tout possible, jusqu’à prendre l’avion pour s’observer labourer la terre d’antan.
Étant donné que vous êtes encore une branche flexible, sensible à l’inflexion des rencontres, grandissant au gré du doute, que vous savez garder votre souplesse et le bleu du blanc de vos yeux verts, vous pourriez prendre le risque de vous noyer dans mes cheveux, spiralés comme ceux de Salaï, mystérieux comme la double hélice des marches de Chambord, l’infinitude de l’ADN…
Toute votre vie certainement, vous aurez besoin de vous prouvez quelque chose, comme le pur-sang qui, à un moment donné, a souffert d’une faim atroce. Dès qu’il voit sa ration quotidienne, l’animal qui a été privé se précipite, comme s’il n’avait pas mangé depuis des jours. La mémoire de son corps se réactive, son estomac se souvient du manque. Vous avez lutté, vous avez besoin d’être rassuré, pourtant tout a changé.
C’est cette mutation intérieure, profonde, que vous tentez.
Vous ne vous êtes pas recousu, vous avez cherché à ouvrir une autre plaie, désirée cette fois-ci ; c’est la blessure du flanc droit, voulue et assumée, la plaie qui fait partie d’une mission, qui inclut le corps sur le territoire de son propre sacrifice.
Il vous manque encore des pas à parcourir, sur la voie de la spiritualité, il vous importe de les conquérir pour vous apaiser, pour devenir un amoureux de l’essence du monde – pas uniquement des femmes et des mots, un plongeur du fond humain, réconcilié, pour lutter contre le rongeur qui croit avoir fait de la place, qui en réalité a dévasté une partie de sa forêt.
Couper les fils est un leurre si un amour plus profond ne vous porte pas ; cette rupture vous donne une certaine légèreté, une impression de liberté… Ne faut-il pas aussi accepter ce parcours, tout pardonner dans la perspective d’une certaine destinée, pour porter son humanité plus haut ?
Bien sûr je ne vous veux que du bien, je souhaitais vous faire part de ce qu’on m’a transmis sur vous, d’en haut…
Brigitte Roffidal
Lettre à Bertrand Cantat
À Montargis, le 19 décembre 2013
Monsieur Bertrand Cantat,
C’était il y a quinze ans, Gilbert et Georges exposaient au musée d’art moderne de Paris ; nous avons marché pendant quelques secondes, à côté mais pas dans le même sens, dans cet espace, à l’entrée, où nous devinions tout juste les sexes en érection sérigraphiés ; j’allais sortir, vous partiez pour fouler le carrelage blanc, qui laissait réfléchir la peau des œuvres sur les murs, sur lesquelles les glands outrageusement colorés semblaient sourire de nos lèvres trop horizontales, de spectateur-regardeur peut-être trop attentif face à cet excès du coït décoratif.
Le pourcentage de chance de croiser une personnalité dans un lieu d’exposition décroissait considérablement lorsqu’on s’éloignait des heures d’ouverture du vernissage ; mon étonnement était d’autant plus grand, en ce jeudi de vache maigre en terme de tickets d’entrée, ce jeudi à l’apparence brumeuse, morose dès l’aube aux abords du car à Tours.
Ma voix était douce et timide, vous vous êtes intéressé à l’exposition, à La Roche-sur-Yon, lorsque j’ai évoqué la Vendée, puis Niort, votre tournée. Vous étiez souriant, lumineux presque, attentif , jusqu’à la douceur de cette bise, qui est venue clore notre entrevue, dont vous ne pouvez vous souvenir, tant les rencontres entre deux aiguilles ont été nombreuses pour vous, des caisses avec lesquelles on pourrait remplir un entrepôt, des messages d’amour à foison débordant sous les tôles, qui n’ont cessé d’exister tout au long des années, mais qu’ils ont planqué sous la froideur ondulante d’un métal imperméable, pour occulter ceux qui ont continué à vous écouter, à être dans l’ombre à vos côtés, ceux qui avaient encore besoin de votre voix, qui la réclament encore, ceux qui considèrent qu’il y a une destinée, une composition invisible dont seules trois notes, deux blanches et une croche, sont perceptibles, des routes empruntées qui sont construites pour montrer aux autres que l’on peut continuer à marcher en suffocant, des fils de nylon imperceptibles, qui vous amènent dans un endroit tranchant sans que l’envers doux et rouillé du glaive de la bête n’ait eu le temps d’intervenir. En surface ils disent aimer l’agnus dei, mais ne le supportent pas avec du sang sur le museau, ne peuvent le tolérer lorsque qu’il continue à boiter en les regardant droit dans les yeux.
Ils le préfèrent mort, inhumain, baissant la tête, se taisant bien sûr.
Faut-il vouloir arracher ces briques qui se sont empilées, donner des coups d’épée dans l’eau ? Ne sommes-nous pas plutôt les réceptacles d’un au-delà qui vient de nous donner des preuves, et que les autres voudraient enfouir ?
Vos mots prennent la couleur amère et romantique d’un témoignage qui ne se raconte pas, ils sont d’une poétique utilité publique ; vous devez continuer.
La sirène de votre voix nous accompagne dans les endroits les plus insolites, elle parcourt avec moi la trentaine de kilomètres qui séparent mon lieu de résidence à celui où je dois me rendre ; je rentre dans un autre monde avec cette parenthèse enchanteresse, parfois il m’arrive même de rouler un peu moins vite pour entendre plus de pistes ; peut-être ressentez-vous cet halo d’amour disparate qui semble aimanter par votre aura, sûrement bien trop humaine à votre goût, mais qui vous dépasse et par laquelle vous devez vous laisser dépasser.
Peut-être que tout cela vous parlera…
Merci pour cet acte d’amour qu’est votre album, pour ce partage, merci de lutter pour garder la force de continuer et d’accepter votre raison de vivre.
Brigitte Roffidal